A un moment ou à un autre le dénombrement des oiseaux sur le terrain va présenter un interêt, qu'il s'agisse du néophyte bien décidé a ne pas rester éternellement un débutant jusqu'au naturalo généraliste désireux d'engranger de vraies données écosystémiques, sans compter que certaines campagnes de comptage font appel a la bonne volontés de tous...
Aussi, je vais vous expliciter ici les techniques de base utilisables en toute simplicité...enfin presque...
Muni d'une bonne paire de jumelles (ergonomiques, traités anti-reflets et les plus étanches possibles - ce qui joue surtout sur la longévité, grâce a des joints silicones et un éventuel gonflement à l'azote) dans les grossissements de 10x42, d'un carnet de note et d'une de tenue...dont le niveau de discrétion dépendra de la probabilité de vous faire dégommer par les francs-tireurs du cru, l'important niveau discrétion étant surtout de bouger lentement, vous etes prêts à partir !!!
Première partie : le parcours de comptage Tout au long de cette démonstration le fil rouge sera le récit du déroulement de comptages de limicoles que j'effectue tout les mois sur ma commune pour le compte de la Réserve naturelle du Banc d'Arguin (SEPANSO) en tant qu'agent LPO.
Définissez au préalable votre parcours, pourquoi pas sur une carte si vous ne le connaissez pas par coeur. Boucle en forêt, segment le long d'une rivière, tour d'un lac, sentier aménagé dans une zone humide....ou comme dans notre cas concret linéaire de plage, de la limite Est de ma commune jusqu'au secteur ou il est notoire de ne jamais observer de limicoles.
Je dois respecter un timing, mais pas juste pour faire sérieux et synchroniser avec les autres agents qui comptent tout autour du bassin d'Arcachon, c'est que je dois aussi profiter de la marée haute qui concentrent nos chers petits échassiers sur les rives, alors qu'a marée basse ils se nourrissent sur de lointaines vasières.
Donc sachant la longueur que j'ai à parcourir a pied et une certaine idée du temps que cela prends, je me donne une heure. Ainsi j'arrive en début de parcours a marée haute -30mn, et finis à +30 ou 35
Vos restrictions peuvent aussi êtres les suivantes : compter le matin car sachant que l'apres-midi vous ne pourrez qu'avoir le soleil en pleine figure suivant l'orientation du parcours, attendre le dégel d'un plan d'eau, le retour au dortoir d'un groupe de grues ou de cigognes....
Arrivé au point de départ, je balaye des deux cotés puis entame ma marche en quittant le moins possible la rive du regard. Passant dans un port urbanisé, je suis obligé par des impasses de m'en éloigner de temps à autre, donc a chaque retour sur zone je scrute vers l'avant, jamais en arrière (que je suis censé avoir couvert depuis l'accès précedent). Les limicoles etant soit en groupes, soit isolés (rare, sauf avec le chevalier guignette), je fais des haltes "prises de notes" a chaque groupe rencontré.
Et là, le comptage a proprement parler, avec ses différentes modalités, ses difficultés, ses solutions.
1-Tout d'abord si des groupes ou des individus arrivent dans votre dos en volant passé les 200 premiers mètres du parcours, jettez un coup d'oeil à leur nombre global, mais il y a toutes les chances que vous les ayez déjà comptés. Sauf si vous n'aviez rien vu ! Et vous si êtes certains qu'ils sont plus nombreux et de la même espèce, rajoutez la différence.
Bien sur, comptez à la volée tout ce qui vous arrive de face, à moins de vouloir repartir à zéro...
2-D'une manière générale, notamment avec les contacts au chant en forêt, la "règle des 200 mètres" est une bonne solution pour espacer ses observations d'une même espèce, car réaliste et évitant les surestimations.
3-Sur ce type de comptage nous considérerons que les oiseaux sont posés ou volent individuellement, ou en groupes modestes, et à proximité.
La deuxième partie du post traitera des techniques a mettre en oeuvre pour les dénombrements massifs en vol, utilisables sur parcours en cas de rencontre impromptue avec une migration par exemple...
Donc admettons que sur la deuxième plage, vous ayez toute une kiryelle de bécasseaux étalés sur la laisse de mer, picorant ou se reposant.
Mais évidemment, il y a trois espèces différentes, mélangées a loisir et sautillant en tout sens !!! Comment faire ?
Chacun ses méthodes (ca commence bien...) donc je vous livre la mienne :
* Je commence par compter l'espèce la
plus représentée, comme ca si ca décolle je peut estimer la proportion restante, en me focalisant alors en toute hâte sur l'espèce la
moins nombreuse, et ainsi optimiser la précision du chiffre.
Exemple : j'ai compté 123 grand gravelots, ca décolle, je sais qu'il y avait grosso modo moitié moins de bécasseaux sanderlings, et je note les 6 tournepierres perdus dans la masse.
*Si tout le monde se tient tranquille, j'applique la même règle mais compte aussi avec précision les autres groupes, espèce par espèce, de la plus fournie à celle qui l'est le moins. En cas de décollage tardif, l'estimation des groupes restants n'en sera que plus facile, et donc fine.
4-Savoir compter. Oui, on en est tous là, mais on a tendance a s'embrouiller sur le terrain, l'adrénaline aidant en cas de conditions instables...donc : si les oiseaux sont étalés, balayez du regard comme sur un boulier, a coup de multiples (2, 4, 6, 8 s'ils sont alignés; 5, 10, 15 sur des petits paquets séparés)...s'ils sont en banc compact, la mauvaise nouvelle est que le comptage unitaire par tête de pipe est la solution royale, surtout si votre instinct et vos réflexes ne sont pas encore affutés de manière a rester précis sur du "5 et 4 = 9, +3 = 12, 15, 18..."
D'une facon générale ne ménagez ni vos yeux ni votre future migraine, moi je compte pour des "officiels" alors du chiffre à l'unité près je ne fais que ca !
5-Mouvement. Pour ceux qui vadrouillent au milieu des autres, ne comptez que ceux qui vont à contre-sens de votre balayage, les autres :
-soit vous les avez déja comptés s'ils surgissent dans votre champ de vision de là d'ou vous venez.
-soit vous n'avez compté que les immobiles (recommandé!) au fur et a mesure de la progression de votre regard, négligeant ceux qui le "fuient" puisque de toute façon vous retomberez forcément dessus en bout de course.
6-Le sex-ratio. Non, non, même les enfants peuvent rester, il s'agit -en plus de la distinction des espèces- de dénombrer mâles et femelles...là je m'en tire a bon compte, chez les grues, laridés et limicole pas de dimorphisme sexuel, il faudrait soulever les jupes...et on m'en demande pas tant !
Mais a titre personnel -et au cas ou- je compte tout ce que je vois, comment fais-je alors sur des espèces fortement sexuées ?
Ben soit c'est très facile (canards colverts), soit moins (tadornes de belon, plumages identiques, mais femelles plus petites...paradoxalement c'est plus facile sur un vol ! ), dans tout les cas toujours les méthodes précitées mais en subdivisant chaque espèce comme s'agissant de deux, en comptant donc toujours le sexe le plus représenté en premier, si la différence est sensible du moins.
Elle l'est rarement avec les canards, qui dès qu'ils le peuvent se trimballent en couple distincts...Si seulement ca pouvais toujours etre comme ca !!!
7-Les tranches d'âges. Aie aie aie aie aie......là ca fume ! Bon je m'en tire toujours à bon compte avec mes limis (ils nichent dans le grand nord, si je les vois il ont déjà une livrée adulte ou à peine moins, c'est leur nombre brut qui livre le taux de reproduction à l'année), les grues et les canards (juvéniles de l'année reconnaissables au premier coup d'oeil, sinon adultes féconds) mais avec les laridés ca se corse....imaginez que dans les mêmes groupes vous aurez des goélands leucophées en 2ème hiver, des argentés juvéniles et des bruns adultes en éclipse...vite, une corde....
Ben partant du principe que vous savez tous les reconnaitres (on y reviendra dans une fiche ultérieure), idem que pour les espèces et le sex-ratio dans l'agencement de votre numération, ca fait juste une subdivision de plus !!!
Et l'achat de quelques actions sur le marché de l'aspirine et des lunettes a triple foyer.
8-Discrétion. Il ne s'agit pas que d'une évidente déontologie, les oiseaux n'etant pas là pour être dérangés (oui je sais, pas mal d'ornithos s'en foutent...absurdité quand tu nous tiens...) mais aussi qu'il est déjà assez rare sur les sites naturels (et pas qu'en été) de ne pas être empoisonné par Marcel Duplouc qui considère une plage "interdite aux chiens" comme la litière de son labrador graisseux, qu'ensuite il va lacher sur les piafs ("rhaaa c'est tellement beau quand ca s'envole"..."oui du*on, et pour eux c'est une demi-heure a grailler des poux de mer pour rattraper les calories alors perdues en une minute"...ca sent le vécu hein ?) pour saboter soi-même son propre boulot, a tout le moins le rendre encore plus difficile.
Allez, demain la suite, j'editerais le post pour les comptages en vol....
Deuxième partie : la méthode du spotteur Mais qu'est-ce qu'un "spotteur" me direz-vous ? Un bien drôle d'animal en vérité...après le névrotique coureur de berges et de sentiers qui joue au sudoku avec des emplumés, voici le dépressif contemplatif qui passe ses journées a baver sur les nuages. Masochiste assumé, lui n'observe les oiseaux que de loin, en vol et en nombre, parfois aux silhouettes en contre-jour...
Mais il excelle dans des techiques qui restent valable pour tout observation de piafs en l'air, surtout s'agissant de les dénombrer et d'en faire des statistiques migratoires !
Vous voici donc maintenant installé au point d'obs' LPO de la pointe du Cap-ferret, à l'embouchure du Bassin d'Arcachon, au milieu d'un des plus grands couloirs migratoires au monde, accessoirement des dunes et des oyats...Devant vous l'océan sauvage et beau, derrière vous les charmes envasés du bassin, et au milieu...une bande de gugusses comme perchés aux hallucinogènes, dans un déploiement omnidirectionnel d'artillerie optique à faire rougir les officiers de la Wermacht autrefois propriétaires d'un blockhaus sur le site.
Voici qu'arrivent les piafs ! Et bien sur, tous en même temps alors qu'on glande depuis une heure sans voir un cochevis...a croire qu'ils se donnent le mot entre espèces...
Comment qu'on fait ? Si vous avez perdu la corde de tout à l'heure, il ne vous reste plus qu'a bosser !
Ayant toujours en tête les bases vues précédemment (priorités des espèces et des genres, paramètres directionnels), voilà comment les adapter aux circonstances :
1-Travail d'équipe. Ne rêvons pas, a moins que votre couloir ne soit une rivière, vous devez au moins être deux.
*Soit il y en a un qui note et l'autre qui spotte (pratique pour garder l'esprit clair et bosser vite, surtout s'il ya plusieurs espèces).
* Soit chacun se charge d'un secteur précis, et n'en démords pas. Dans notre exemple, au strict minimum un va regarder coté mer, un au-dessus du sable des dunes et de la ville, un troisième vers l'est et les terres. Le premier verra des anatidés, des limicoles, des pélagiques; le second verra des rapaces, des passereaux; le troisième des grues, des ardéidés....
2-Matos. Là fi des jumelles sauf en guise de secours, ce qu'il vous faut c'est une longue-vue sur trépied X20 qui coûte aussi cher que la vieille bagnole de ma mère, pour les occases évitez d'acheter a distance. Et oubliez le bas de gamme, on n'y verrait pas un hippopotame batifoler dans une mare picarde.
3-La numération en vol. Là, la migraine vous reprends...
Trois cas de figure :
*Vol en formation (en V, en chevrons ou en échelon) : si seulement ils avaient tous cette bonne habitude...Bon, pas une raison pour se relacher, c'est comme ca qu'on se plante ! Mais là c'est sur, allez-y simplement, à l'unité autant que possible, ou a coup de multiples si ca déboule en trombe. Si la distance et/ou vos grossissemnent le permettent, fendez-vous d'un sex-ratio ou d'une soustraction des immatures...
*La guirlande : les pioufs sont en vol large et assez lâche mais agencés de facon plus ou moins homogènes, comptez par blocs. Mentalement, visualisez et délimitez un groupe de 5, 10 ou 15 bestiolles, selon la taille de la nuée et sa vitesse. Incrustez vous dans l'oeil la taille de ce bloc, et reportez le sur tout le canevas, au lieu de compter les individus. S'il y a des rebelles et des associaux qui trainent en marge des blocs, gardez les pour la fin et dénombrez-les individuellement, vous gagnerez en précision globale.
Avec un peu expérience, vous tomberez en dessous des 10% de marge d'erreur pour les quantités supérieures à quelques dizaines...
*Le nuage. Le bordel quoi, les etourneaux (mais quelle idée de compter ces craquenilles, en plus ils manoeuvrent tout le temps). Comptez toujours par blocs, mais les variations de densité des blocs vous amènera à....subdiviser (nooooonn pas encore!) en différents calibres de blocs, d'abord les plus denses, et ainsi de suite...En général c'est le centre d'un vol qui est le plus massif (au moins du point de vue l'observateur), détendez vous ensuite sur les bords.
Dans les deux derniers cas, n'oubliez pas d'être capable de déformer un peu la superficie de vos blocs pour y englober le plus de monde possible, mais ca c'est un coup d'oeil qui s'exerce.
4-Un compteur a main (comme le clic-clic du dragueur de Ben Affleck dans la pub) vous permettra évidemment d'assurer la dimension instinctive de vos coup d'oeils, mais je le trouve plus utile pour compter des blocs plus nombreux que les doigts de la main gauche, ou des masses grouillantes et changeantes, que pour faire du 1+1.
5-Déculpabilisation. J'ai cité les cas ou vous pouvez rester précis, dans tout les autres ne vous empechez pas de dormir sur le fait de vous contenter d'approximations, c'est utile en soi et inévitable quand on spotte.
Dans une moindre mesure, idem pour les espèces : mieux vaut signaler une bergeronette sp. que pas de bergeronette du tout, de toute façon si vous pouvez différencier à 100 mètres une grise d'une yarell avec le soleil dans les mirettes et à toute blinde, je suis votre esclave....
Voilà, si y'en a encore qui veulent faire de l'ornitho après ca, je leur présenterais un ou deux snipers à la vue basse dont ma région a le secret...